La culpabilité…ça commence jeune

La culpabilité…ça commence jeune

Par Danielle Perrault

J’ai environ 6 ans. Je suis à l’église. On nous prépare pour la communion mais avant ça il faudra se confesser. Un très vieux monsieur que je présume sage, préside à l’assemblée de petits enfants que nous sommes. Il nous raconte les différents péchés qui souillent notre âme et dont on devra aller se délivrer tantôt dans le confessionnal. Il nous dit des mots que je ne comprends pas. Remplie de ferveur, je m’efforce de comprendre, ça tourne dans ma tête. Le mot luxure flotte autour de moi. Je n’ai absolument aucune idée de ce que cela signifie si ce n’est qu’il nous convainc que nous avons tous commis ce péché mortel. Je passe en revue toute ma jeune vie convaincue que si je n’arrive pas à trouver comment je puis m’être rendue coupable de ce péché mortel, ma vie sera foutue. Je cherche religieusement. Je m’introspecte, c’est ce que le prêtre nous a dit de faire, se recueillir et aller fouiller dans notre vie les péchés que nous avons immanquablement commis. Je comprends que la luxure a quelque chose à voir avec les fesses… qu’il ne faut pas nommer…ça aussi c’est un péché, ma mère me l’avait déjà appris. Il semblait y avoir quelque chose de très mal avec les fesses. Il fallait les cacher à tout prix.

Un souvenir finit par monter en moi. C’était un jour de fête où je jouais avec mon petit voisin dans une chambre dédiée à recevoir les manteaux des invités. On s’y était réfugiés en toute sécurité se sachant à l’abri des adultes. Il a sa trousse de docteur. Il sort une grande seringue et il veut me faire une piqûre. Je lui tends mon bras mais il me dit que les enfants reçoivent leurs piqûres sur leurs fesses. Je réfléchis et je n’ai d’autre choix que de lui donner raison. Je baisse donc mes culottes et il me fait la piqûre.

Me rappelant ce souvenir, je suis envahie par la honte. Je réalise que je suis en état de péché mortel depuis ce jour. Horreur !!! Une chance que je ne sois pas morte, je serais en enfer pour l’éternité. Le prêtre continue ses explications. Il nous parle de pénitence. C’est une sorte de punition qui consiste à regretter fermement nos actes malveillants et à dire des prières. Plus le péché est gros plus le nombre de prières à réciter est grand. Il nous informe toutefois d’une petite phrase qui accompagne le rituel de confession….  « et tous les péchés que j’ai oubliés » Voilà enfin mon salut, me dis-je. J’ai beaucoup trop honte de ce que j’ai fait pour que cela sorte de ma bouche. Je prépare donc ma confession…j’ai dit des gros mots à mes jeunes frères, je me remémore toutes mes pensées et tous mes comportements erratiques …des péchés véniels…dont je serai bientôt libérée mais il me reste le gros, l’énorme, l’indicible…celui qui me jette dans un désarroi total et qu’il me faut cacher à tous…je me demande si Dieu verra un inconvénient à ce que je le fasse passer dans … « et tous les péchés que j’ai oubliés ». J’essaie de me persuader que je l’oublierai en toute innocence et qu’il me sera pardonné puisqu’il fera partie des « oubliés ».

À chaque confession, une fois par semaine, je suis prise du même vertige … et si je n’avais pas réussi à réellement oublier ?Ça serait commettre un autre péché. Je ne prends donc pas de chance et je double moi-même la punition -le nombre de prières à réciter- ce que je fais avec toute la ferveur de mes 6 ans.

Ce manège durera des années avant que j’acquière la maturité nécessaire qui me permette de comprendre le stratagème religieux et son importance dans le contrôle qu’il a exercé sur ses fidèles, jeunes et vieux.

Verrouiller la conscience, la contrôler par des décrets qui touchent la survie de l’âme. Croyances limitantes vous dites? Chaque société, chaque époque a les siennes. Elles forment les balises des routes que nous empruntons.

Quelles sont les vôtres?