Plusieurs d’entre nous ont à l’occasion fredonné cette chanson de Claude Dubois « J’ai souvenir encore ». Si vous êtes en accord avec moi, certains souvenirs possèdent une odeur indélébile, ineffaçable. Ils reviennent nous hanter périodiquement comme dans un vieux film noir et blanc. En fouillant dans mes souvenirs d’enfance, j’entends encore le tintement des bouteilles de lait que ce laitier, arborant costume et casquette, venait déposer à nos portes tôt le matin. Adolescent je l’accompagnais dans sa livraison les samedis matin. Prend forme aussi l’image de notre boulanger du village qui cuisait un bon pain qu’il livrait lui-même. Un bon pain frais dont l’odeur taquine encore mes souvenirs d’hier. Émerge de ce vieux film ce cultivateur qui nous offrait une viande saine provenant d’animaux de sa ferme. J’étais fasciné de le voir couper, dépecer ces gros morceaux de viande satisfaisant ainsi sa fidèle clientèle. Surgit dans ma brume un homme pittoresque s’il en fut un; le forgeron du village! À sa boutique de forge où il agissait aussi comme maréchal ferrant on pouvait en entendre des vertes et des pas mûres comme le dit l’adage. Pré-ado, mes oreilles ont souvent surpris des conversations épicées alors que je les épiais caché derrière la grand porte…Parmi tous ces disparus, je compte aussi le magasin général où l’on trouvait de tout; du plus petit clou au complet du dimanche. Il m’importe de vous dire que tous ces métiers ou professions sont devenus, hélas, poussière du temps. Mais quels bons souvenirs j’en garde !
Pourtant un de ces personnages existe encore. Il traverse le temps. Mais le temps le détruira comme ses prédécesseurs. Je devrai classer dans mes souvenirs la dernière camelot piétonne de Disraeli. Mme Thérèse G. Brochu. En effet Mme Brochu effectue « sa run » de journaux quotidiennement depuis une vingtaine d’années. Fidèle au poste; qu’il fasse beau, qu’il pleuve ou qu’il neige, sa livraison c’est comme sa mission.
Aujourd’hui retraité, je la vois passer le matin, son sac en bandoulière comme une écolière. Parfois en vélo, parfois à pied accompagnée de son chien. Alors que je travaillais j’avais pour habitude de marcher tôt le matin. Sur mon retour, souvent je rencontrais Thérèse. On s’accordait toujours un brin de jasette qui se terminait invariablement par un rire joyeux ! Elle était toujours de bonne humeur! Bientôt pour elle, l’heure de la retraite ayant sonné depuis quelque temps déjà; elle devra abandonner « sa run » qui sera avalée entièrement par une version électronique, comme tant d’autre journaux. Elle disparaîtra peut-être de ma rue mais sûrement pas de mon souvenir.
Hors de ma rue mais pas de ma vue puisque l’on se rencontrera encore ailleurs pour ressasser « nos odeurs du temps » Chapeau Thérèse G. Brochu !
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