L’Humeur buissonnière

C’est un premier matin d’hiver. Chaque année le tout premier. Je bois un verre d’eau. Je rallume le feu. J’ouvre la fenêtre, prends un grand respir. La journée commence comme ça. Je commence aussi fréquemment mes textes comme ça. Je veux dire en décrivant ce qui me fait vivre : l’eau, le feu, l’air. Je dis souvent et répète à qui veut l’entendre que je me trouve chanceuse ; pas que mon sort soit ni plus ni moins enviable que celui de n’importe qui, mais mes reins, mon cœur, mon foie, mes poumons, mes os sont — encore — bons. Vous vous demandez ce que ces propos viennent faire dans une chronique sur l’art ? Rien. Vous commencez à être habitués à mes digressions sans queue ni tête, non ? En fait, peut-être que je reviens sans l’avoir prémédité sur une précédente chronique traitant de l’art de Vivre.

Vivre avec un grand V, cette fois, comment pourrait-il en être autrement avec une sculpture aussi extraordinaire que le corps humain ? Mon amie Danielle s’est récemment fait opérer les pieds, anesthésiée localement, elle entendait tout ! La scie, la drill, les conversations badines des infirmières, etc. Et s’extasiait devant ces ébénistes du corps humain que sont les chirurgiens, chirurgiennes dans son cas, une pour chaque pied, en même temps. Je pense à ma mère aux côtes brochées après une opération du cœur, à mon chéri aux mains sclérosées de Dupuytren et qui joue maintenant si bellement du piano, à mon annuaire redressé après une mauvaise chute. Tout le monde a, elle-même, lui-même ou quelqu’un dans son entourage, été confronté à son impuissance vis-à-vis de son corps ou de celui d’un ou d’une aimé, e, devant alors faire appel — et confiance — à des inconnus. Hommes et femmes à qui on livre notre bien le plus cher, entre les mains de qui on abandonne notre trésor fondamental ; ce sont bel et bien des artistes, non, ou est-ce que je m’égare encore ?

Vierge à l’Enfant, œuvre de Martine Leclercq, matériaux mixtes. Photo par Dyane Raymond

Je sais, je mélange, divague, simplifie. Mais ne peut-il exister plusieurs catégories d’artistes : ceux de l’âme (de l’esprit, du cœur, de l’élévation, de la pensée, etc.), peintres, musiciens, poètes, philosophes… et ceux du corps qui réparent, recousent, débloquent ou colmatent ? Peut-être que les créateurs et les docteurs eux-mêmes me lanceront des roches et me traiteront d’idiote de tout abâtardir comme ça ; il ne me restera plus alors qu’à me rendre à l’urgence pour me faire soigner et aller voir une exposition ensuite pour me consoler…

Bon temps des fêtes de folie douce, chères amies, chers amis, du Cantonnier.

Dyane Raymond
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