Chronique de vie : nos vies, nos histoires
Par Danielle Perrault
Au début de l’âge adulte, j’ai travaillé avec des femmes dans un asile. À cette époque, on les appelait des déficientes profondes. On les entassait à quarante par salle, selon la profondeur de leur trouble. Elles y étaient gardées plus ou moins comme des animaux. Elles réagissaient comme elles étaient traitées, en grognant, en mordant ou en se terrant. Leurs réactions variaient selon les gens qui s’en occupaient.
La même routine se répétait chaque jour. Après les bains, chacune retrouvait sa chaise berçante. Les surveillantes tricotaient et papotaient entre elles. Une vraie sinécure pour ces travailleuses, en majorité féminine, dont l’ouvrage du quart de jour se résumait ainsi : douches, habillage, chaises berçantes, repas, sieste et collation.
Je m’ennuyais ferme dans cette salle. Personne à qui parler. Je résolus d’apprivoiser les patientes les unes après les autres. Puisque ces femmes s’exprimaient avec des grognements et des sons plus ou moins gutturaux, elles me faisaient penser à des bêtes : ourses, renardes, lynx, hippopotames, tigresses, lionnes. La faune entière était représentée. Ou encore un zoo… Ces femmes-bêtes semblaient menées par leur instinct. Ça me plaisait d’être entourée d’une telle ménagerie. J’observais ces femmes et cela me permettait de créer avec elles un lien qui avait un sens. Quand on s’occupe des animaux et qu’on les aime, ils nous le rendent bien.
À partir de ce jour, je m’appliquai à m’amuser avec elles. La plus imposante, celle qui m’apparaissait la plus terrible, devint peu à peu ma garde du corps. Elle veillait à ce que personne ne m’agresse. Nous nous parlions par signes, et elle me comprenait. Elle ne me quittait jamais des yeux. Je me sentais réellement protégée. Nous élaborions toutes sortes de jeux ensemble et je dois dire que nous nous amusions beaucoup. Le temps passait plus vite. Les préposées levaient les yeux de leur tricot et nous jetaient un regard torve parce que nous dérangions leur tranquillité. Mais c’était tout.
Je commençais à distinguer une lueur dans les yeux des patientes. En effet, j’avais remarqué que plus la déficience est profonde, moins la lumière perce. On dirait des yeux morts, comme si la source de vie ne les traversait pas. Plus l’intelligence est vive, plus la lumière traverse les yeux.
Cette expérience avec ces femmes m’enseigna que l’intérêt et l’amour qu’on accorde aux gens allument la lumière de leur intelligence, ou font transparaître celle de leur âme. La lumière peut nous aveugler comme elle peut être un guide bienfaisant qui nous permet de communiquer. Quand on a peur, on ferme les yeux, c’est instinctif. Sous l’humiliation, on les baisse. En colère, on jette des regards aussi noirs que l’âme humaine lorsqu’elle hait. Amoureux, nos regards brillent.
Pendant cette saison où la lumière baisse, je vous propose d’observer combien les manifestations de l’amour illuminent votre regard. À défaut de le vivre en vrai, rêvez-y ! Votre corps le ressentira en transformant votre regard, c’est promis !
- Un troisième article en liste pour les Prix de l’AMECQ - 25 avril 2024
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ANNUELLE DU JOURNAL LE CANTONNIER - 25 avril 2024
- L’ASSOCIATION DE VÉLO DE MONTAGNE DES APPALACHES MAINTENANT BIEN EN SELLE - 20 avril 2024