L’Humeur buissonnière

Hier soir, la discussion s’est enflammée; il était question des bibliothèques, le croiriez-vous? L’un crânant qu’on trouve, aujourd’hui, toute l’information dont on peut avoir besoin sur internet, l’autre argumentant que le lieu, comme les livres qu’il contient, est un univers à part où se retrouvent non seulement des savoirs et des références, mais l’âme du monde. Je paraphrase et résume grossièrement. Nous étions en présence d’antagonistes pour qui d’un côté, le monde est un espace pratique, à maîtriser et à bâtir; et de l’autre, pour qui cet espace s’il n’en est pas moins concret, peut être aussi réfléchi, compris, exploré dans la pensée, l’imaginaire, la connaissance.

Ainsi, qu’est-ce donc qu’une bibliothèque? En regardant par dessus l’horizon, je peux y voir une forêt où chaque arbre est une part vivante d’un savoir universel; y voir des constellations où se rencontrent l’histoire et l’avenir, y voir des océans peuplés d’imaginaires.

Je vois aussi un temple où l’on murmure délicatement et où on se recueille pour tenter de comprendre cette petite fourmi que l’on est; ou la soif inaltérable qui nous assaille sans cesse devant le Vivant; ou encore la course infinie vers l’inconnu quand on soupçonne le monde, vaste et beau, quelque part, là, tout près si loin.

Certains ne sont pas sensibles ‒ ou n’ont pas été initiés  aux mots, à la lecture; d’autres ne pourraient s’en passer. Je suis de celles-là, vous le savez, et ne peux imaginer vivre sans lire. Pas plus que vivre sans aimer ou sans scruter le silence de la forêt.

Je ne sais pas construire de maison, et réussis de peine et de misère à ne pas me laisser emporter par la folie «tsunamiesque» du monde, mais j’ai appris à lire dans ton regard la beauté qui s’y trouve. Je peux déchiffrer dans ta beauté les pays que tu as visités. Et reconnaître dans les lieux que tu habites les failles où tu as trébuché. Je ne sais pas réparer un robinet qui fuit ou préparer des mets enivrants, mais je peux tenir ta main quand elle tremble. Et courir avec toi vers les ivresses les plus fantasques.

Un jour, un romancier m’a murmuré à l’oreille des mots que je ne saurais vous répéter, car ils n’étaient destinés qu’à moi. Une autre fois, une écrivaine me parlera dans sa langue inventée et je saurai qu’elle m’offre l’inestimable et l’impossible. Bonne lecture.

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