Humeur buissonnière

C’était un vendredi soir. Nous étions attablées devant un apéro dinatoire, que nous qualifiions nous-mêmes supérieur à tous les repas de restaurant que nous pourrions nous offrir, en sirotant un ravissant vin d’Alsace. Mon amie me parlait de ses lectures du moment, dont celle-ci où des chercheurs en art et en médecine avaient établi des parallèles entre leur spécialité respective en vue de favoriser, comme l’espère le préfacier du livre, « une symbiose entre la science et l’art, composantes fondamentales du génie humain ». Certaines images sont en effet confondantes, mais je ne vous détaillerai pas leurs théories, n’ayant que survolé l’ouvrage. Je vous parlerai plutôt de notre voisin René, du rang 4, musicien d’exception s’il en est, qui, à une époque (j’ignore s’il le fait toujours), se plaisait à peindre des roches desquelles il faisait ressortir des visages, des animaux, des évocations diverses qui rendaient aussi vivantes qu’elles puissent l’être des pierres ramassées sur la terre, sur le chemin, dans le fossé. « Nous avons une étonnante capacité à animer le monde. À entrevoir, dans ce qui nous entoure, la présence d’un autre. Est-ce un visage ? Une réminiscence ? Une illusion ? », s’interrogent les auteurs. Évidemment, cela me ramène à Levinas, que j’ai déjà évoqué en ces pages, pour qui le visage de l’autre établissait d’emblée notre responsabilité vis-à-vis de cet autre. Mais, bon, voilà-t-y pas que je m’égare encore, car je ne veux parler ni d’éthique ou de philosophie (quoique par les temps qui courent, on en aurait bien besoin), mais une fois de plus du regard que nous portons sur le Vivant, enfants, hommes et femmes, arbres, feuilles, plantes, bêtes, insectes, roches, lacs et rivières, etc. Mon amie n’appréciera pas que je la qualifie d’érudite, parce qu’elle n’est ni savante ni spécialiste de rien, arguera-t-elle, il n’en reste pas moins que le regard qu’elle porte sur tout « ça », est d’une part artistique, parce qu’empreint d’un amour quasi douloureux tant il est aigu et conscient, et par ailleurs, animé d’une curiosité et d’une observation qui sans être scientifiques sont aiguisées et rigoureuses.

À gauche, Edvard Munch, Le cri, 1893 ; à droite, détail d’un poteau télégraphique. Quand l’art rencontre la science, Éditions de La Martinière, Jean Claude Ameisen, Yvan Brohard. Photo par Dyane Raymond

Bref. Une fois encore, là n’est pas mon propos. Mais qu’en est-il donc, vous impatienterez-vous peut-être ? Que pourrais-je répondre qui ne soit ni une bêtise ni une pirouette ? Peut-être qu’il s’agit, par les temps qui courent justement, de la gravité et du sérieux avec lesquels nous devrions considérer toute chose, tout être vivant ; Levinas nommait cela : le sérieux sévère de la bonté.

Dyane Raymond
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