Ayant dû, depuis quelques années, me réinstaller à Montréal pour travailler, j’ai vite troqué l’auto pour le transport en commun et le vélo, mais j’ai quand même gardé l’habitude de descendre à Saint-Jacques le plus souvent possible, en co-voiturage avec Amigo ou mon amie Karo ou chéri ou mon voisin Lucky. Bref, je me débrouillais et ça fonctionnait très bien. Depuis quelques mois, c’est évidemment plus compliqué de se déplacer. Alors je redécouvre ma ville natale. Comme ce « Malheureux magnifique » de Pierre Yves Angers qui fut pour moi un coup de cœur de jeunesse. Quand j’étais petite, je m’amusais à faire pareil dans la piscine hors terre familiale, me recroquevillant dans l’eau et retenant mon souffle jusqu’au vertige. À la fois en apesanteur et entière dans une intériorité qui me rendait invisible et invulnérable. Plus tard, vivant à proximité, j’ai côtoyé presque quotidiennement cette œuvre pendant plus de vingt ans, avant de migrer vers un autre quartier. Massive, imposante, blanche, elle représentait pour moi un repère familier et rassurant, une bouée qui me permettait de flotter sur le macadam de la ville sans m’enliser. Une protection, comme un rempart qui repousserait les incendiaires et les empoisonneurs, les faussaires et les voleurs. Dans un environnement où, de jour comme de nuit, tout brille et scintille, j’aimais sentir qu’il y avait un géant qui osait la tristesse, qui osait le silence, qui osait l’absence. Qui disait : se blottir, se cacher, se penser, se perdre là où on n’ira pas te chercher, à l’intérieur d’une fragilité qui n’appartient qu’à toi.
Alors, l’autre jour, quand j’ai à nouveau croisé cette sculpture, ce n’est pas un passé qui m’est revenu à l’esprit, avec son regard d’autrefois et son poids de réminiscences, mais une reconnaissance envers la vie de m’avoir donné une tête, un dos, des jambes, des bras assez forts et solides pour porter l’intérieur des choses : le cœur, le souffle, la faim, l’âme ; jusqu’à aujourd’hui et encore plus loin.
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