Élogieux péché

Par Mylène Croteau

Vous me prenez délicatement entre vos doigts, extirpez la vie que je vous enlève avec délectation. Mes effluves se logent dans vos vêtements, ma substance s’agglutine sur vos organes internes, change la couleur de vos doigts et vous gratifie d’une haleine mémorable. Mes adeptes me qualifient de remède inégalé contre le stress, de divin plaisir coupable, ou de calmant social efficace. Mes opposants me surnomment mort lente par asphyxie interne, combustion sournoise mortelle ou poison concentré pour rats.

Je me délecte de vos faiblesses : j’existe parce que vous m’avez conçue. Vous pestez contre moi, mais vous avez également besoin de moi : triste paradoxe. Vous m’attribuez des maladies dégénératives, fréquemment mortelles. Pourtant, mon degré de dangerosité reconnu ne vous détourne pas de moi. Vous me portez à vos lèvres comme un condamné forcé à ingurgiter le poison contenu dans sa coupe. Certes, je suis nocive, vous le savez, mais vous ne pouvez me renier puisque je suis une composante essentielle à votre bien-être physique et mental.

Depuis que mon cas a été médiatisé, depuis que mes zélateurs ont fait parade pour sauvegarder mon fier blason, je n’ai jamais été aussi populaire. Mon nom est farouchement scandé par mes prosélytes et mon droit d’exister est psalmodié par mes heureux disciples. On a tenté de m’anéantir, mais j’ai perduré, en despotique hyène ricaneuse. On a tenté de saper mon honneur, mais j’ai conservé mes charmes inaliénables pour mes élus. Vous ne pouvez me résister : comme un aimant, je vous retiens en transe, amenuisant vos résistances.

Vous tentez parfois de vous départir de moi, chose ignoble et futile que je suis, mais comme un enfant égaré, vous me chérissez à nouveau. Je suis là, dans l’attente de votre retour, guettant avec délice le moment propice pour me manifester de nouveau, afin d’exercer un effet de séduction mielleux. Je représente pour certains la tentation maléfique ou la débauche du poumon. Pour d’autres, bien que ma durée de vie soit éphémère, j’incarne un baume puissant tarissant les larmes et apaisant les angoisses.

Je suis la cigarette. La bien-aimée. La maudite. J’attends, tapie dans l’ombre de vos tourments. Je serai là, précieusement blottie dans la poche de votre manteau. Dans quelques années, peut-être, rirais-je à gorge déployée en vous entendant tousser à vous en cracher les poumons, le souffle râlant, la gorge en feu.

Entre vos doigts je ne serai plus : vous n’aurez probablement plus la force de me tenir délicatement. Vous serez nécrosé. Vous n’y serez plus. Et moi, funeste cigarette j’y serai encore… et composerai une prochaine ode à ma quintessence.

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