L’Humeur buissonnière

Il en est de certaines personnes comme des choses de la nature qui, telles les mouches à feu, sont à la fois lumineuses et obscures. Il en est de même des poètes et des philosophes, dont les œuvres sont souvent à la fois accessibles et inatteignables. On a un objet entre les mains, on a des mots devant soi, on a un esprit toujours affamé, le bec béant comme des oisillons, mais les idées et les imaginaires s’y déversent au compte-goutte en une distillation claire ou ambrée : ivresse assurée, âmes fermées s’abstenir.

Daniel St-Laurent est à la fois un personnage et un gars du village. Une belle tête folle qu’on remarque tout de suite, un gars ouvert et avenant avec une discrétion dans le regard qui le rend à la fois accort et lointain d’approche. Ce qui me fait penser à la définition de l’aura du philosophe Walter Benjamin, qui la définit comme « l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il ». Et qui se prêterait à merveille, il me semble, à son recueil de poésie, J’ai la nuit au milieu du monde, paru récemment aux Éditions de l’Apothéose. Car, si par définition ce qui est lointain semble inapprochable, ce même effet produit son contraire une fois que sa réalité apparaît. Je veux dire si on regarde les choses, les images, les idées en les plaçant dans l’axe d’un entendement sans distance justement, sans durcissement, sans présupposé. Ce n’est ni simple ni facile, je vous l’accorde, mais c’est plus que du bonbon, comme le vantait une certaine pub autrefois.

J’ai la nuit au milieu du monde, Poèmes de Daniel St-Laurent, Éditions de l’Apothéose, 2021. Photo par Dyane Raymond

En parcourant son recueil, je me disais, ce gars-là me ressemble. Ni physiquement ni littérairement, on s’entend, quelque part quand même lorsque par exemple il écrit : « Quand je parle de bonheur, je me demande tout le temps où c’est que tout ça s’en va… mais j’aime mieux les “je t’aime” que les “va donc chier” ».

Daniel St-Laurent est un gars du village ; à Saint-Fortunat et ses environs, tout le monde le connaît ou presque. Il est ancré dans le paysage depuis si longtemps ; et à ma connaissance, il n’a jamais revendiqué autre chose que d’être l’oiseau sur l’arbre qu’il a lui-même planté, que d’être là où il peut avancer dans la vie à la fois groundé et insaisissable, comme le sont les poètes et les philosophes. Comme le sont les mouches à feu.

P.-S. -Vous irez lire le poème à la page 47, trop long pour que je puisse vous le transcrire ici ; une petite merveille d’histoire culturelle sous forme de calembours et de contrepèteries.

Dyane Raymond
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