L’accès aux plans d’eau de plus en plus difficile

Le Québec regorge de plans d’eau, mais ils sont souvent inaccessibles (Photo par Guy Jacques)

Le Québec possède près de 4 millions de plans d’eau douce couvrant une superficie de plus de 200 000 kilomètres carrés, mais les citoyennes et citoyens ont souvent l’impression que ces plans d’eau leur sont difficilement accessibles. Est-ce vraiment le reflet de la réalité ?

C’est à cette question que deux professeurs en génie de la construction et membres du groupe de recherche HC3 – Hydrologie Climat et Changement Climatiques à l’École de technologie supérieure de Montréal ont voulu répondre. Pour François Brissette et Annie Poulin, ce n’est pas une impression. Accéder aux plans d’eau n’est pas aisé, surtout dans le sud du Québec. Cette situation est décriée par de nombreux organismes qui dénoncent les tarifs exorbitants exigés par de plus en plus de municipalités pour avoir accès à un plan d’eau sur leurs territoires.

Vous croyez que les plans d’eau sont un bien public ? Vous avez raison. Par contre, deux notions s’opposent dans le Code civil : les droits d’accès et les droits d’usage. Et c’est là que tout se complique. Car si l’article 919 stipule que « le lit des lacs et des cours d’eau navigables et flottables est, jusqu’à la ligne des hautes eaux, la propriété de l’État », l’article 920 indique que « toute personne peut circuler sur les cours d’eau et les lacs, à la condition de pouvoir y accéder légalement, de ne pas porter atteinte aux droits des propriétaires riverains, de ne pas prendre pied sur les berges et de respecter les conditions d’utilisation de l’eau ». Donc, même

si un plan d’eau appartient à l’État, il devient impossible d’y accéder si son contour est composé uniquement de terrains privés.

Pour que les choses se compliquent encore davantage, les différents paliers de gouvernement se partagent divers champs de compétences. Les voies navigables relèvent du gouvernement fédéral, la gestion des ressources en eau est de compétence provinciale, l’environnement est du ressort de ces deux paliers, alors que les municipalités voient à la gestion et au traitement des eaux usées et aux schémas d’aménagement et de loisirs. Le gouvernement du Québec a beau affirmer sa volonté de vouloir étendre l’accès à l’eau de façon à pouvoir favoriser les activités récréotouristiques, ce sont les municipalités qui détiennent le pouvoir en matière d’accessibilité aux cours d’eau. Elles peuvent décider de rendre les plans d’eau accessibles, et même exproprier les propriétaires pour ce faire, mais comme elles tirent des revenus fonciers importants de ces terrains, elles n’ont pas d’intérêt à agir en ce sens. Quant aux propriétaires riverains, ils ont rarement envie de partager leur plan d’eau. Les plages publiques et les rampes d’accès se font donc de plus en plus rares.

Les auteurs soulignent que l’historique du développement immobilier des zones riveraines démontre que les municipalités favorisent le revenu foncier par rapport aux aspects environnementaux. Et c’est sans compter la gestion des fosses septiques et des champs d’épuration, du déboisement et de l’aménagement paysager en zone riveraine qui, souvent, font largement défaut. Une amélioration de la gestion environnementale des berges est observable au cours des dernières années, mais la densité des aménagements, la gestion déficiente des bandes riveraines et des ouvrages d’assainissement témoignent des nombreuses erreurs du passé.

La solution passerait par l’aménagement de zones riveraines beaucoup plus respectueuses de l’environnement. Il s’agirait par contre d’éloigner les bâtiments et fosses septiques des bandes riveraines, et d’aménager des parcs et pistes cyclables autour des plans d’eau, lesquelles agiraient comme des zones tampons lors des crues printanières. Et également de modifier le cadre réglementaire, afin que le droit d’usage soit soutenu par le droit d’accès. Il faudrait aussi limiter la densité du développement, et faire en sorte que les constructeurs intègrent des accès riverains publics. Comme le soulignent les auteurs, toutes ces actions requièrent cependant une volonté forte, et beaucoup de courage politique.

Source : François Brissette et Annie Poulin

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