« La photo a-t-elle été prise récemment ? », ai-je demandé à mon amie, un peu incrédule quand même, dans mon courriel de réponse. Elle m’a confirmé que oui. Faut dire que ma copine habite en Franche-Comté, une région en France qui ressemble un peu à la nôtre, mais où le printemps arrive au moins un mois plus tôt qu’ici, et l’hiver ben, quand ils ont de la chance, il neige.
Bon, à l’orée du printemps, c’est chaque fois pareil, y’a de l’effervescence dans l’air, de l’impatience partout. Même si je fais partie de la grande farandole qui célèbre le renouveau annuel, force m’est de reconnaître qu’il est doux de me blottir contre le poêle dans les obscurités précoces de janvier, d’attiser le feu dans les aubes infiniment noires de l’hiver, d’aimer à la folie le blanc silence de la forêt. Cette force tranquille, qu’on ne trouve autrement qu’en de rares instants de grâce, s’installe à demeure pendant des mois pour peu qu’on lui prépare, comme chante le poète, le feu, la place.
Parlant de tranquillité, j’ai vu il y a quelque temps The Quiet Girl, un film irlandais en gaélique, sous-titré anglais, où cette force tranquille justement imposait le respect. Respect des uns et des autres, grands et petits, du non-dit et du silence, de l’immobile et de l’élan irrépressible qui propulse vers les personnes aimées. Une force tranquille qui n’est cependant pas que paisible, car la peine est là, le souvenir, le difficile, tout ce qui fait que la vie ne reste jamais longtemps figée dans un bonheur élémentaire.
Le cinéma tel qu’on le connaît ne nous offre pas souvent des images de lenteur où on a le temps de voir bouger la lumière, de s’imprégner de l’odeur de la grange, de sentir le frémissement de la main de l’enfant dans sa paume. On n’est pas pour autant dans un conte de fée, on ne nage pas dans l’eau de rose et encore moins dans le pow-pow t’es mort. On n’est pas dans la vraie vie non plus, même si ça en a l’air. On est dans un poème avec toute l’opaque transparence qui caractérise le genre. Dans une élégie où pénètre un soleil voilé qui parvient néanmoins à transmettre son rayonnement.
Le soir tombait quand je suis sortie du cinéma. J’ai rallumé le feu dans le poêle avec les braises encore chaudes, me suis versé un verre de vin. Mon dieu que j’étais bien.
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