Par : Danielle Perrault
Il est étrange de constater que nous devions écouter sans apprendre à nous écouter. On nous le dit, on nous le martèle : « Arrête de t’écouter. »
Depuis que je suis née, on me dit d’écouter. Qui écouter, quoi écouter, où regarder, quoi comprendre, quoi faire, comment ? On indique à l’être toutes les balises à suivre sous peine d’être déclassé, jugé, rejeté. Mais, depuis quelques années, une nouvelle injonction a vu le jour, surclassant la première : on doit s’écouter. Bel imbroglio ! Deux injonctions portent désormais le même nom : écouter.
Écouter les autres en s’écoutant. La première notion est balisée par les conséquences fâcheuses à ne pas suivre les consignes… Dès qu’on s’écarte de cette règle, on est puni ou humilié. Deuxième notion : s’écouter. Comment s’y prend-on ? On n’en prend conscience qu’après avoir vécu l’expérience ; on se dit alors qu’on savait ce qui nous attendait, et qu’on aurait donc dû s’écouter.
Si j’avais à recommencer ma vie, voici ce que je voudrais intégrer : que mon corps est mon guide et que je sais décoder ce qu’il me transmet. Or j’ai appris à le faire taire, à le nier, à m’en méfier, à en avoir peur. J’ai appris à le juger, à le honnir, mais jamais à m’en servir, sauf pour lui apprendre ce qu’il doit maîtriser par toute forme d’entraînement. Le corps est pourtant celui qui sait le mieux ce qui est bon pour nous. Il le sent d’instinct.
Jeune, je travaillais comme préposée dans un lieu rassemblant des déficients profonds. Chaque matin, je me levais, faisais ma toilette, attrapais un fruit et me rendais au travail en utilisant les transports en commun. J’essayais de prolonger mes nuits (en général trop courtes) en sommeillant pendant le trajet. Je n’ouvrais les yeux qu’une fois arrivée à l’hôpital psychiatrique.
Les « malades », comme on les appelait à l’époque, étaient réunis dans la salle à manger où on leur servait le petit-déjeuner. Les déficients profonds sont un peu comme de petits animaux ; ils sont guidés par leur instinct. Tous les matins, j’étais accueillie par un homme qui me reniflait littéralement. Certains jours, il essayait de me monter, comme les chiens le font avec une chienne en chaleur ; d’autres, il me bousculait ou me frappait. Au début, je me méfiais de lui. Je craignais son impulsivité. Je me demandais ce que j’avais bien pu faire pour qu’il me traite de la sorte. Comme il ne semblait avoir aucune conscience de son comportement, j’ai compris qu’il réagissait sans doute aux hormones que je dégageais sans en avoir moi-même conscience. Il faut rappeler que je sortais le plus tard possible du sommeil. Les ondes cérébrales émises par mon cerveau se trouvaient probablement encore entre les cycles thêta et alpha, caractéristiques des états entre la somnolence et la vigilance détendue. Bref, je n’étais pas réveillée. Alors au lieu d’avoir peur, j’avais hâte que cet homme me décrive à sa manière quelle influence avaient eue mes rêves sur l’énergie que mon corps dégageait. Qu’il me révèle où je me trouvais dans mes cycles hormonaux. Ainsi, tous les matins, j’apprenais, grâce à lui, à me connecter à cette bête qui me servait de véhicule et que je connaissais si peu : mon corps.
Connaissez-vous le vôtre ? Au lieu de vous crisper quand il vous parle, écoutez-le et apprenez à comprendre ce qu’il vous dit. Ben oui, ça s’apprend…
Voici une petite anecdote en terminant. J’ai fait appel il y a peu à quelqu’un qui m’a appris à chauffer « Ma grosse Bertha », c’est le nom affectueux que j’ai donné à ma fournaise à bois. Au moment où l’expert me quittait, je lui ai fait un résumé de ce qu’il m’avait enseigné. Il me précise alors que c’est mon corps qui me dira quand il sera temps de remettre du bois, c’est le meilleur capteur qui existe. « Fie-toi sur lui ».
Vous dire à quel point cela m’a fait plaisir ? En fait, ça m’a rassurée, mon corps sait ce dont il a besoin, je vais pratiquer tout l’hiver.
Ce fut un réel plaisir de m’adresser à vous depuis plus d’un an. Les temps changent, il faut sans cesse s’adapter, mais l’humain restera toujours l’humain. Vous pouvez donc relire mes chroniques sur le Web.
Danielle Perrault est psychologue et autrice de plusieurs contes thérapeutiques, des livres « Guérir de son histoire » et « Une histoire, ça se guérit » et de 10 balados sur la santé mentale « À l’écoute de soi » accessibles sur le net.
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